Instructions du 1er grade

Lecture et commentaire de la 2e partie

Roger Dachez

(18 janvier 2014)

Nous commençons notre étude par cette 2ème partie parce qu'elle concerne directement la cérémonie d'initiation en apportant des commentaires qui l'expliquent.

Ces textes ont été élaborés de la manière suivante. A l'origine de la Maçonnerie spéculative, au début du XVIIIe siècle, les textes des cérémonies étaient relativement courts alors que les textes des instructions qui les accompagnaient étaient plus fournis. Au début du XIXe siècle, au moment de la formation de la Grande Loge Unie d'Angleterre, la situation a changé et il s'agit de constituer de nouveaux rituels. C'est alors qu'une partie des textes des instructions va être transférée dans les textes rituels des cérémonies, sans pour autant se démunir totalement ce qui fait que, aujourd'hui, aussi bien les textes des cérémonies que ceux des instructions sont « hybrides » en ce qu'ils contiennent les uns et les autres autant de discours et commentaires.

Il va de soi que le texte que nous utilisons est traditionnel. C’est une traduction honnête de l'original anglais mais adaptée à une loge mixte.

Demandes et réponses 5 à 7 :

D. Pourquoi avez-vous été dépouillé de tous métaux ?

R. Afin que je n’introduise dans la Loge aucune arme offensive ou défensive qui puisse en troubler l’harmonie.

D. Une deuxième raison ?

R. La pauvreté dans laquelle j’ai été introduit en Maçonnerie avait pour objet de me rappeler que je dois secourir mes Frères et Sœurs dans le besoin, s’ils en sont dignes, sans pour cela nuire à moi-même ou à mes proches.

D. Une troisième raison ?

R. Lors de la construction du Temple du Roi Salomon, on n’entendit aucun bruit d’outil métallique.

Le métal reçoit ici 3 valeurs traditionnelles: une valeur sociale, la Franc-Maçonnerie est un lieu de paix, une valeur morale, la FM est attentive à la détresse humaine, une valeur mythologique qui se réfère à la Bible.

Valeur sociale

L'épée, si prisée en France, est ici bannie. L'usage anglais est l'exact contraire de l'usage français. Au XVIIIe siècle, en France, le port de l'épée est une marque d'égalité, alors qu'à la même époque, en Angleterre, elle est plutôt le souvenir douloureux des récentes guerres politiques et religieuses. On voit bien ici que les usages symboliques et leurs significations sont très influencés par les conditions idéologiques de leur temps.

Valeur morale

C'est le rappel d'un passage de la cérémonie où l'on demande au Candidat, alors privé de tous métaux d'effectuer un don pour les pauvres. Celui-ci doit éprouver concrètement combien il est difficile et malheureux de ne pouvoir secourir son prochain ce qui renforce en nous ce devoir lorsque nous sommes en mesure de l'accomplir.

Demandes et réponses 8 et 9 :

D. Comment un édifice aussi imposant que le Temple du Roi Salomon a-t-il pu être élevé et achevé sans l’aide d’outils de métal ?

R. Les pierres étaient taillées dans la carrière, équarries, sculptées, marquées et numérotées sur place. Le bois de construction était abattu et préparé dans la forêt du Liban, sculpté, marqué et numéroté au même endroit. Les matériaux étaient transportés par mer jusqu’à Joppé, puis de là par charrois à Jérusalem et enfin mis en place à l’aide de maillets et de l’outillage de bois préparé à cet effet.

D. Pourquoi les pierres et le bois étaient-ils préparés si loin ?

R. Pour montrer l’excellence du Métier à cette époque, car bien que les matériaux aient été préparés à une telle distance, cependant, lorsqu’ils étaient amenés à Jérusalem et assemblés, chaque élément prenait sa place avec tant d’exactitude que l’on aurait pu croire qu’il était davantage l’œuvre du Grand Architecte de l’Univers que de mains humaines.

Valeur mythologique

Elle est expliquée par les D&R 8-9. Si, pour la construction d'un monument en pierre, il y avait bien un travail préparatoire dans la carrière pour façonner les pierres avant de les apporter sur le chantier, il n'en reste pas moins que sur un chantier de construction l'usage des outils de métal est nécessaire. Alors que comprendre? De même que des commentaires talmudiques donnent une explication à cette absence d'outils métalliques, de même la FM donne la sienne en nous suggérant, à sa manière, que nous ne pratiquons pas une maçonnerie opérative mais bien une maçonnerie spéculative où les outils de métal, de fait, n'ont plus guère d'utilité. De plus, il va de soi, mais c'est encore mieux de le rappeler, que le Temple auquel se réfère la FM n'est pas le Temple de Salomon de l'an 1000 avant Jésus- Christ mais un Temple spirituel, ce qui est d'ailleurs probablement conforme à la réalité historique puisque le temple de Salomon, tel qu'il est décrit dans la Bible, n'a, jusqu'à preuve du contraire, jamais existé sous cette forme. Personne n'a jamais présenté la moindre pierre ou le moindre objet authentique ayant appartenu à ce temple mythique et tous ceux qui s'y sont essayés ont vu leur supercherie mis à jour. Le Temple de Salomon, c'est donc d'abord et avant tout une tradition inventée, fondatrice et donnant du sens.

Demandes et réponses 10 à 12 :

D. Pourquoi aviez-vous les yeux bandés ?

R. Pour le cas où j’aurais refusé de passer par l’une des cérémonies requises pour être reçu Maçon ; j’aurais pu alors être conduit hors de la Loge sans en avoir aperçu la disposition.

D. Une deuxième raison ?

R. Les ténèbres dans lesquelles j’ai été introduit en Maçonnerie avaient pour objet de me rappeler que je dois y maintenir tous les autres hommes, en ce qui concerne nos mystères maçonniques, à moins qu’ils ne s’en approchent légitimement comme je le faisais à ce moment.

D. Une troisième raison ?

R. Afin que mon cœur puisse ressentir avant que mes yeux n’aperçoivent.

Là aussi, avec ces 3 raisons, il y a une sorte d'approfondissement par strates successives dans le niveau des réponses: matériel, spirituel (les Ténèbres spirituelles) et vécu ou ressenti. On aperçoit ici la profondeur de la Maçonnerie anglaise qui est plus qu'une simple gestuelle. L'expérience des ténèbres est suggérée allusivement comme aime à le faire la FM en général et la FM anglaise en particulier. On pourrait penser à l'illumination ou expérience fondatrice de Jacob Böhme qui lui permit d'établir la doctrine de l'Ungrund ou néant inconscient et ténébreux d'où jaillit la lumière, comme l'être jaillit du non-être, les ténèbres précédant la lumière. C'est une problématique importante et profonde.

Demande et réponse 13 :

D. Pourquoi étiez-vous en pantoufle ?

R. Comme nos loges sont censées se tenir en Terre Sainte, cet usage rappelle le passage des Ecritures où le Seigneur s’adresse ainsi du Buisson Ardent à Moïse : « Déchausse-toi car le sol que tu foules est sacré ».

L'usage de la pantoufle reçoit, comme souvent dans la FM anglaise, une explication en référence à la Bible. Ceci nous amène à revenir sur une question récurrente: la FM anglaise est-elle spirituelle ou non? Rappelons que beaucoup la considère comme une simple morale. Ce texte déclare bien que la loge se tient en Terre Sainte ce qui s'entend parfaitement en milieu protestant qui considère que tout le peuple chrétien est prêtre et tout lieu où s'assemblent des chrétiens est sacré. De même que le Christ est présent lorsque 2 ou 3 s'assemblent en son nom, de même la loge devient en quelque sorte un lieu sacré lorsque les frères s'assemblent pour la former et la composer. Le mot « religieux », ici, a bien le sens de « mettre en relation » et, en ce sens, précisément, la FM est, d’un point de vue anthropologique, une religion qui relie des gens en fonction d'un but qui les transcende.

Demande et réponse 17 :

D. Son devoir ?

R. Armée d’une épée nue, il doit écarter tous les intrus et manœuvres étrangers à la Maçonnerie et s’assurer que les candidats sont convenablement préparés.

Dans le texte anglais il est question de « cowan ». C'est un mot difficile à traduire. En Ecosse, au XVIIe siècle, c'est un maçon indépendant, « sauvage », comme on dit dans nos milieux, qui ne pouvait faire que des travaux de pierre sèche, le mortier étant réservé aux maçons de métier.

Demande et réponse 20 :

D. A quoi ces trois coups espacés font-ils allusion ?

R. A une ancienne et vénérable exhortation : « cherchez et vous trouverez, demandez et vous recevrez, frappez et l’on vous ouvrira ».

« Une ancienne et vénérable exhortation »... c'est l'Evangile, évidemment, bel exemple d' « understatement », de sous-entendu, cher aux anglais !

Demande et réponse 24 :

D. La réponse du Tuileur ?

R. Monsieur/Madame N., un pauvre candidat dans les ténèbres, qui a été fortement et légitimement recommandé, régulièrement présenté et accepté en Loge et qui aujourd’hui librement et de son plein gré, convenablement préparé, vient solliciter humblement d’être admis aux mystères et aux privilèges de la Franc-Maçonnerie.

C'est une reprise d'un passage de la cérémonie. Le candidat est parrainé, accepté et préparé (la préparation physique aussi est signifiante: ex des yeux bandés en référence aux ténèbres). Tout cela n'est possible que sur les fondements d'une démarche libre et volontaire. Et c'est en s'abaissant humblement, librement et volontairement, que le candidat peut solliciter et espérer un statut plus élevé et privilégié.

Demandes et réponses 25 à 26 :

D. Quelle demande le Couvreur fit-il encore ?

R. Comment j’espérais obtenir ces privilèges.

D. Votre réponse ?

R. Par le secours de Dieu et parce que j’étais libre et de bon renom.

Le secours de Dieu, c'est la grâce divine nécessaire.

Demandes et réponses 27 à 29 :

D. Que fit alors le Couvreur ?

R. Il me pria de m’arrêter et d’attendre qu’il ait fait son rapport au Vénérable Maître qui daigna ensuite ordonner de m’admettre.

D. Avez-vous été admis ? Et sur quoi ?

R. Je l’ai été, sur la pointe acérée d’un instrument présenté à mon sein gauche mis à nu.

D. Pourquoi la pointe acérée d’un instrument a-t-elle été présentée à votre sein gauche mis à nu lors de votre entrée dans la Loge ?

R. Pour m’indiquer que j’étais sur le point de prendre un engagement solennel, et de plus pour s’assurer de mon sexe.

Le poignard souligne la solennité du serment.

Demandes et réponses 31 et 32 :

D. Que vous demanda-t-on ensuite de faire ?

R. De m’agenouiller afin de recevoir le bienfait d’une prière maçonnique.

D. Veuillez la répéter je vous prie.

Un coup de maillet.

Tous se lèvent et se mettent au signe de Respect.

« Daigne, Père Tout-Puissant et Maître Suprême de l’Univers étendre Ta protection sur cette assemblée et fais que ce candidat à la Franc-Maçonnerie consacre sa vie à Ton service afin de devenir parmi nous un frère véritable et fidèle. Accorde-lui suffisamment de Ta divine Sagesse pour qu’il puisse, à la lumière des secrets de notre Art Maçonnique, découvrir les beautés de la vraie piété, pour l’Honneur et la Gloire de Ton Saint Nom. »

P.M.I. Ainsi soit-il.

Tous cessent le signe et s’asseyent.

Cette belle prière est typique de la FM anglaise. Elle est très forte puisqu'il s'agit de consacrer sa vie à Dieu, ce qui est souligné encore dans la D & R 34.

Demande et réponse 37 :

D. Que fît de vous votre guide ?

R. Ni nu ni vêtu, ni déchaussé ni chaussé, j’avais une attitude humble et hésitante. Il me prît amicalement par la main droite, me conduisit par le Nord, passa devant le Vénérable Maître à l’Est et revenant par le Sud il me remit au Premier Surveillant à l’Ouest.

Le « squaring » (faire le tour de la loge en marquent les angles) ne se pratique qu'au cours des cérémonies.

Demande et réponse 39 :

D. Pourquoi avez-vous été conduit autour de la Loge de cette manière insolite ?

R. C’était afin de représenter symboliquement l’état de pauvreté et de détresse dans lequel j’étais supposé avoir été introduit en Maçonnerie. Et si j’avais songé un seul instant à la misère d’un tel état, pour peu qu’il se réalisât, je n’aurais pas manqué d’en ressentir une impression si forte que je n’aurais jamais pu à l’avenir refuser avec dureté d’entendre les pleurs des malheureux, particulièrement s’il s’agissait de Frères ou de Sœurs Maçons. Mais au contraire, écoutant leurs plaintes avec sollicitude, la pitié aurait jailli de ma poitrine et le leur aurais apporté l’assistance dont ils auraient eu besoin et que j’aurais été en mesure de leur fournir. C’était également afin de montrer que j’étais le candidat convenablement préparé, et une personne apte et qualifiée pour être reçue Maçon.

La déambulation doit susciter chez le candidat un état moral qui l'incite à se pencher sur la détresse humaine. Cette sorte de symbolisme est bien dans la manière anglaise.

Demandes et réponses 46 à 48 :

D. La première de ces questions ?

R. Déclarez-vous sincèrement sur votre honneur que vous n’avez pas cédé contre vote gré à aucune sollicitation déplacée de la part d’amis, que vous n’êtes pas mû par aucun sentiment intéressé ni par aucun autre motif inavouable mais que vous vous présentez librement et volontairement comme candidat aux mystères et privilèges de la Franc-Maçonnerie ?

D. La deuxième ?

R. Me donnez-vous votre parole que vous avez été déterminé à poser votre candidature à ces privilèges par l’opinion favorable que vous avez conçue de notre Institution, par un désir général de connaissance et par la volonté sincère de vous rendre plus utile à vos semblables ?

D. La troisième ?

R. Déclarez-vous en outre solennellement sur votre honneur que, sans crainte mais aussi sans témérité, vous allez subir avec persévérance toutes les cérémonies de votre Initiation, et que si vous êtes reçu vous vous conformerez aux anciens usages et aux coutumes établies de l’Ordre ? A toutes ces questions j’ai répondu par l’affirmative.

Il s'agit du dernier interrogatoire sur les motivations du candidat. On notera (R. 47) le « désir général de connaissance » qui dépasse la simple morale à laquelle d'aucuns veulent réduire la Maçonnerie anglaise.

Demande et réponse 51 :

D. En quoi consistent ces trois pas irréguliers ?

R. En lignes et angles droits.

En entrant en loge, le candidat, qui n'est pas Maçon, fait des pas « irréguliers » contrairement au Maçon qui, lui, fait un pas « régulier ». C'est l'occasion de soulever un problème de traduction. Lorsqu'on annonce le candidat à la Loge et qu'on frappe donc « irrégulièrement » on dit qu'il y a une « alarm ». On traduit souvent ce mot par « alarme » mais il serait plus juste de dire une périphrase comme : « on frappe irrégulièrement » ». De même, on pourrait traduire le mot « report » qui indique qu'un frère frappe régulièrement par : « on frappe régulièrement ».

Demandes et réponses 57 et 58 :

D. Qu’alliez-vous faire dans cette posture ?

R. Prêter la grande et solennelle Obligation d’un Maçon.

D. Veuillez la répéter je vous prie.

Coup de maillet.

Tous se lèvent et se mettent à l’ordre d’Apprenti Entré. Ne pas oublier le pas.

"Moi, N..., en présence du Grand Architecte de l’Univers et de cette digne, vénérable et légitime Loge de Maçons Francs et Acceptés régulièrement assemblée et dûment consacrée, de mon plein gré et consentement, par ceci et sur ceci, sincèrement et solennellement, promets et jure que toujours je garderai, cacherai et jamais ne révélerai aucune partie ni aucun point des secrets ou mystères des Maçons Francs et acceptés, soit ceux qui pourraient m’être connus à ce jour, soit ceux qui vont m’être maintenant communiqués, ou ceux qui me seront révélés à l’avenir, si ce n’est à un ou plusieurs Frères véritables et réguliers, et même pas à celui-là ou à ceux-là avant de les avoir dûment tuilés, soigneusement examinés, ou avant d’avoir reçu d’un Frère bien connu l’assurance qu’il est ou qu’ils sont dignes de cette confiance, ou encore au sein d’une Loge juste, parfaite et régulière d’Anciens Francs-Maçons. Je promets solennellement en outre que je ne transcrirai point ces secrets, ni ne les rédigerai, sculpterai, marquerai, graverai, ni ne les tracerai en aucune façon , ni engagerai personne à le faire ni ne le permettrai à quiconque, s’il est en mon pouvoir de l’empêcher, sur quoi que ce soit de mobile ou d’immobile sous la voûte du ciel, par n’importe quelle lettre, caractère ou dessin, ou par la moindre trace d’une lettre, d’un caractère ou d’un dessin qui puissent être lus ou compris par moi-même ou par qui que ce soit au monde, en sorte que nos arts secrets et nos mystères cachés soient révélés indûment par mon indignité.

Tous ces points, je jure solennellement de les observer sans faux-fuyant, équivoque ou restriction mentale d’aucune sorte, sous un châtiment qui ne saurait être moindre, si je viole l’un d’eux, que d’avoir la gorge tranchée, la langue arrachée par la racine et le corps enseveli dans le sable du rivage à la limite des basses mers ou à une encablure de la terre , là où le flot monte et redescend régulièrement deux fois en vingt-quatre heures.

Ou bien, ce qui est plus praticable, d’être flétri comme un parjure opiniâtre, dénué de toute valeur morale et absolument indigne d’avoir été reçu dans le sein de cette vénérable Loge ou de toute autre Loge régulière, ou compagnie d'hommes qui placent l’honneur et la vertu au-dessus des avantages extérieurs du rang et de la fortune.

Que Dieu me soit en aide et me garde dans le respect inébranlable de cette grande et solennelle Obligation d’un Apprenti Franc-Maçon Entré."

Tous font le signe et s’asseyent.

Notons, dans cette forme d'obligation, la minutie surprenante des interdictions qui sont censées protéger un secret publié depuis près de 3 siècles. En réalité, la véritable fonction du serment, c'est de faire passer le candidat de l'état profane à l'état maçonnique : le serment fait le maçon (cf. R. 64) d'où son importance, à l'image des sociétés traditionnelles. C'est le centre du rituel, de la cérémonie. Quant aux pénalités, elles étaient connues au XVIIe siècle pour être appliquées aux pirates et aux mutins...