Instructions du 1er grade
Lecture et commentaire de la 6e partie
Roger Dachez
(17 janvier 2015)
Demandes et réponses 1 et 2 :
D. Frère/Sœur Premier Surveillant, quel est le premier point de la Franc-Maçonnerie ?
R. Le genou gauche nu et à terre.
D. Frère/Sœur Couvreur (ou Frère/Sœur Second Surveillant), pourquoi cela est-il nommé le premier point ?
R. Sur mes deux genoux on m’a appris à adorer mon Créateur, sur mon genou gauche nu et à terre j’ai été initié en Maçonnerie.
Les modernes partaient du pied droit et s’agenouillent sur le genou droit. Inversement, les anciens faisaient le contraire. Dans la littérature, il n’y a jamais eu de raison explicite de partir d’un certain pied ou de s’agenouiller de tel ou tel côté. Dans tous les cas, c’est un signe d’humilité, tel qu’on peut le faire en religion. La Maçonnerie n’est pas une religion ni un substitut de religion.
C’est une posture de louange. On veut ici marquer une différence avec la vie religieuse.
Une autre interprétation est d’avoir un genou au ciel et un autre sur la terre. Le 4e ordre (Arc Royal) “qui est suprême” où l’on a les 2 genoux à terre. La nudité du genou vient de la terre sacré de Moïse où celui-ci se déchausse. Pratique rare en religion (rapprochement avec le baptême qui est l’initiation chrétienne).
Demandes et réponses 3 et 4 :
D. Frère/Sœur N..., (ou Frère/Sœur Premier Surveillant), y a-t-il un point capital ?
R. D’être heureux et de rendre les autres heureux.
D. Un point principal ?
R. Un point dans un cercle.
Oui, la Maçonnerie rend heureux les Maçons.
Demande et réponse 5 :
D. Définissez ce point.
R. Dans toutes les Loges régulières, bien disposées et constituées, on voit un point dans un cercle autour duquel les Frères ne peuvent s’égarer. A ce cercle sont jointes au Nord et au Sud deux grandes lignes tangentes et parallèles, la première représentant Moïse et la seconde le Roi Salomon. Sur la partie supérieure de ce cercle repose le Livre de la Loi Sacrée qui supporte l’Echelle de Jacob dont le sommet s’élève jusqu’aux cieux. Et si nous étions aussi proches de ce Livre Saint et si nous adhérions aussi étroitement aux doctrines qu’il contient que le font ces deux lignes parallèles, cela nous conduirait auprès de Celui qui ne nous trompera pas et qui n’acceptera pas d’être trompé. En suivant la circonférence de ce cercle, nous devons nécessairement rencontrer ces deux parallèles ainsi que le Livre Sacré ; et tant qu’un Maçon demeure dans de telles limites il ne peut s’égarer.
C'est un passage patiné qui décrit la perspective centrale de la Maçonnerie, encadrée par les outils mis à disposition par la religion. on appelle ça le point principal dans un cercle. Emblème universel de Dieu. Le symbolisme ajouté par la Maçonnerie est le livre de la loi sacré et l’échelle de Jacob. La signification des deux parallèles à Moïse et Salomon date de 1813. Dans les textes antérieurs, elles signifient St Jean Baptiste et St Jean l’Evangéliste. C’est un symbole qui n’est jamais passé en France. Il serait intéressant de tracer l’apparition de ce symbole d’un point dans un cercle : est-ce les modernes ou les anciens ? L’Echelle de Jacob vient de la Maçonnerie d’adoption vers 1740.
Demande et réponse 6 :
D. Quels sont les grands principes sur lesquels l’Ordre repose ?
R. L’Amour fraternel, la Bienfaisance et la Vérité.
Ce sont les 3 grands principes de la Maçonnerie énoncés pour la première fois par Francis Drake (à York en 1726).
Demande et réponse 7 :
D. Je vous serais obligé de définir l’Amour fraternel.
R. Par la pratique de l’Amour fraternel nous apprenons à considérer toute l’espèce humaine comme une seule famille, unissant celui qui se trouve dans une position élevée et celui qui n’occupe qu’un rang inférieur, le riche et le pauvre, créés par un Etre Tout-Puissant et envoyés dans le monde pour s’aider, se soutenir et se protéger les uns les autres. C’est sur ce principe que la Maçonnerie unit les hommes de tous les pays, de toutes les sectes et de toutes les opinions et que par ses préceptes elle suscite une amitié sincère entre des personnes qui n’auraient pu que rester perpétuellement étrangères.
Les "sectes" signifient ici les différentes confessions. L’Amour fraternel ici est un principe universel qui ne s’arrête pas aux Frères. Référence au Discours de Ramsay. Constitutions d’Anderson (1723).
Demande et réponse 8 :
D. La Bienfaisance ?
R. Secourir ceux qui sont dans la détresse est un devoir qui incombe à tous les hommes et particulièrement aux Maçons qui sont unis les uns aux autres par la chaîne indissoluble d’une affection sincère. C’est pourquoi consoler les malheureux, s’intéresser à leur infortune, compatir à leur misère et ramener la paix dans leur esprit tourmenté est le but essentiel que nous nous proposons. C’est dans cet esprit que nous nouons nos amitiés et choisissons nos relations.
Quand on transpose la bienfaisance de l’Angleterre vers la France au XIXe, cela apparaît comme une intervention dans la vie sociale et politique. Et c’est là où ça a coincé. Quand la Maçonnerie est pleinement intégrée dans la société (faisant partir des meubles de l’état) où chacun reste à sa place.
En France, l’histoire a obligé la Maçonnerie à aller contre des partis politiques, etc. Néanmoins, au XIXe, en Angleterre, des Loges essaient d’avoir une approche sociale, mais en minorité. L’opposition fondamentale entre les anciens et les modernes était socio-économique (cf. Loge de Wigan se retire en 1823 de l’union de 1813). C’est dans ce contexte que vont se développer les friendly societies d’entraide, empruntes à la Maçonnerie, comme aux origines de la Maçonnerie elle-même. Une autre inflexion sera donnée par le RER en France : bien faire matériellement et spirituellement, voire exclusivement spirituelle. Dans la société post révolutionnaire, c’est l’état qui devrait gérer cette bienfaisance. Donc la maçonnerie française n’avait peut-être plus rien à faire.
Le comte François Henri de Virieu au Convent de Wilhelmsbad en 1782 faisait un discours pré-révolutionnaire. Dans la maçonnerie anglaise, il y a 2 hospitaliers : steward (interne à la Loge) & charity steward (extérieur à la Loge). En France au XVIIIe siècle, on voit passer 2 troncs en Loge : un tronc régulier et un autre ponctuel (pour des actions de charité ponctuel et les actions extérieures). La pratique de la bienfaisance n’est pas une exclusivité de la Maçonnerie (voir les USA). Avec la crise actuelle depuis 1980 en France, les actions individuelles sont plus fréquentes car l’Etat ne plus y pourvoir. Dans les pays protestants, c’est l’action individuelle qui prime (et moins l’action de l’état pour la bienfaisance à l’égard de son prochain).
Demande et réponse 9 :
D. La Vérité ?
R. C’est un attribut divin et le fondement de toute vertu maçonnique. Etre des hommes de bien et sincères, c’est la leçon qui nous est enseignée le jour de notre initiation. C’est à l’aide de cette grande loi que nous considérons les actions de notre vie et c’est par ses préceptes infaillibles que nous nous efforçons de les conduire. C’est pourquoi l’hypocrisie et la tromperie nous sont, ou devraient nous être, inconnues. La sincérité et la loyauté sont nos caractéristiques essentielles et notre cœur et notre langue s’unissent pour travailler au bonheur des uns et des autres et pour nous réjouir de la prospérité du Métier.
Si tout ça pourrait être vrai. L’amour fraternel et la bienfaisance, on comprend tout de suite. Mais quid de la vérité ? Car Francis Drake n’a pas commenté ces 3 grands principes.
Qu’est-ce que cela veut dire ? Les scolastiques au moyen-âge disaient qu’il y a 2 vérité : “cette pomme n’est pas bleue” et “c’est du vrai pain”. La conformité à un dessein essentiel à un idéal fondamental qu’on est supposé incarné. Cela prend une signification plus forte. Les anglais font un usage très fréquent de l’”understatement” (“déclaration en dessous”), par soucis de respecter les choses même quand on souhaite dire la vérité.
La démarche maçonnique anglaise est un haut idéal, avec une haute éthique, qui n’est pas une plate morale. C’est tout la différence entre la morale et l’éthique. Il s’agit ici d’une belle traduction en langue française. La traduction du rituel de 1926 de la GLNF n'était pas à la hauteur.
Demandes et réponses 10 et 11 :
D. Combien avons-nous de signes originaux dans le Franc-Maçonnerie ?
R. Quatre : le Guttural, le Pectoral, le Manuel et le Pédestre.
D. Je vous serais obligé de me désigner selon les usages maçonniques à quelles parties du corps ils se rapportent.
R. Le Guttural à la gorge (on se met à l’ordre d’Apprenti Entré). Il fait allusion au châtiment de mon Obligation. Il signifie que comme homme d’honneur et comme Maçon je préférerais avoir la gorge tranchée (on fait le signe) plutôt que de révéler indûment les secrets qui m’ont été confiés.
Le Pectoral à la poitrine (on fait le signe de Fidélité). C’est là que ces secrets sont renfermés en sûreté, à l’abri de la curiosité du monde profane étranger à la Franc- Maçonnerie (on cesse le signe).
Le Manuel (on étend la main droite) rappelle ma main placée sur le Livre de la Loi Sacrée en marque de mon consentement à prêter l’Obligation d’un Maçon (on cesse le signe). Le Pédestre (on fait le pas) consiste à placer les pieds en équerre à la partie Nord-Est de la Loge et marque l’attitude d’un Maçon juste et droit.
On trouve les 4 signes du châtiment.
Demande et réponse 12 :
D. Ils ont encore une autre signification.
R. Ils font allusion aux quatre vertus cardinales : La Tempérance, la Force, la Prudence et la Justice.
Ce qui est astucieux, c’est l’occasion de faire appel les 4 vertus.
Demandes et réponses 13 à 16 :
D. Je vous serais obligé de définir la Tempérance.
R. C’est cette juste modération des passions et des attachements qui nous permet de maîtriser et de régir notre corps et de protéger notre esprit des séductions du vice. Tout Maçon doit pratiquer constamment cette vertu car elle lui enseigne à éviter l’excès et à ne pas contracter d’habitudes vicieuses ou licencieuses par lesquelles il pourrait être imprudemment conduit à trahir sa parole et à tomber sous le coup du châtiment contenu dans son Obligation (on se met à l’ordre d’Apprenti Entré) ce qui est rappelé par le signe Guttural (on le fait).
D. La Force ?
R. C’est cette noble et ferme valeur de l’âme qui est également distante de la témérité et de la couardise. Elle nous permet d’affronter toute douleur, toute peine, tout danger ou toute difficulté, lorsque cela est jugé nécessaire ou préférable. Cette vertu, comme la précédente, doit cuirasser la poitrine de tout Maçon comme un rempart et une protection contre toutes les tentatives qui pourraient être faites, par menaces ou par violence, de lui arracher certains de ces secrets maçonniques qu’il s’est si solennellement engagé à garder, à cacher et à ne jamais révéler indûment. La divulgation illégitime de ces secrets tourmenterait sa conscience comme la pointe du Compas, placée sur son sein gauche mis à nu au moment de son initiation (on fait le signe de Fidélité), ce qui est rappelé par le signe Pectoral (on cesse le signe), figurait symboliquement une torture pour son corps.
D. La Prudence ?
R. Elle nous enseigne à conformer les actions de notre vie aux préceptes de la raison. Par elle les hommes accoutument leur esprit à juger avec sagesse et à déterminer avec prudence tout ce qui touche à leur bonheur temporel et éternel. Cette vertu doit être la caractéristique de tout Maçon Franc et Accepté, non seulement pour la conduite des actions de sa propre vie mais aussi pour l’édification de ceux qui ne sont pas Maçons. Elle doit être également observée avec soin dans les assemblées où se trouvent des profanes afin de ne jamais laisser échapper le moindre signe, attouchement ou mot par lequel des étrangers à notre Ordre pourraient avoir illégitimement accès à quelques-uns de nos secrets maçonniques. Que chaque Maçon se souvienne toujours de ce moment où il était placé devant le Vénérable Maître à l’Est le genou gauche nu et à terre, le pied droit formant l’équerre, le corps dressé dans l’équerre, la main droite (on l’étend) sur le Livre de la Loi Sacrée, ce qui est rappelé par le signe Manuel (on cesse le signe).
D. La Justice ?
R. C’est cette limitation du droit par laquelle nous apprenons à rendre à chaque homme sans distinction son juste dû. Cette vertu est non seulement conforme aux Lois divines et humaines mais elle constitue la condition et le ciment de la vie sociale. Sans la pratique de cette vertu, une confusion générale s’établirait, la force illégale l’emporterait sur les règles de l’équité et les rapports sociaux deviendraient impossibles. Et comme la Justice est dans une grande mesure le trait distinctif de l’homme réellement bon, tout Maçon Franc et Accepté doit se faire une obligation absolue de ne jamais s’écarter de ses moindres règles. Qu’il se souvienne toujours de ce moment où, placé dans la partie Nord- Est de la Loge, les pieds formant l’équerre (on le fait), le corps dressé, il a reçu du Vénérable Maître cette excellente injonction d’être juste et droit en toutes choses, ce qui est rappelé par le signe Pédestre.
Le système des vertus cardinales (formulées pour la première fois par Platon) est fondateur de de l’enseignement moral & de la culture occidentale, sous forme de “package”. On peut le trouver dans plusieurs grades de différents rites. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, c’était la base de l’enseignement social. La seule astuce est d’associer des gestes aux vertus.