Force Sagesse Beauté
Anatomie d’un ternaire méconnu
Roger Dachez
(3 mars 2018)
Il est d’abord rappelé qu’il s’agit d’un des fondamentaux de la symbolique maçonnique, qui a été recouvert au XX° siècle d’un discours délirant.
Ce ternaire a souvent une origine inconnue des Francs-maçons et l’imagination suppléant à la mémoire, on se réfugie sans modération vers des origines complexes et compliquées, par exemple une origine avec l’arbre des Sephirot de la kabbale.
En fait l’origine de ce symbole est typiquement maçonnique comme l’a mis en évidence René DÉSAGULIERS dans son ouvrage Les Trois grands piliers de la Franc-maçonnerie (Véga, 3e éd. 2011). Ce ternaire apparaît en 1730 avec les divulgations de PRICHARD et dans le manuscrit Wilkinson daté de 1727. La maçonnerie spéculative a repris à son compte des textes de la tradition opérative des « Old charges ». Quand on se confronte aux textes les plus anciens (Regius et Cooke) puis par la suite les 130 déclinaisons connues, la trame est la même : ces anciens devoirs reprennent en première partie une histoire mythique et conjuguent dans leur seconde partie les devoirs moraux et professionnels. Ces lectures successives ont été produites aux XVIe et XVIIe siècles et ensuite utilisées par des maçons qui n’étaient plus opératifs.
Il existe une constante, c’est l’invocation préalable « par la Force du père, la Sagesse du Fils, la Beauté du Saint-Esprit ». L’invocation est trinitaire et elle fait référence à la Trinité chrétienne.
Ce ternaire existait avant 1730, et il renvoie à la Trinité. De fait, la culture médiévale dès le XIIe siècle, s’exprime dans de nombreux traités de théologie et la plupart reflètent l’influence des "Sentences" de Pierre LOMBARD. Celles-ci sont des définitions dogmatiques :
- Le caractère du Père est la puissance, en latin Potestas.
- Le caractère du Fils est la sagesse, en latin Sapientia.
- Celui de l’Esprit la Bonté, en latin Bonitas dont la traduction évolue au cours du temps en Grâce ou Bonté. Et l’évolution de la langue aidant, on mute rapidement de "bonté" en "beauté". Les sentences de Pierre LOMBARD sont en fait un traité compilé de théologie chrétienne. Nos tailleurs de pierre ne lisaient certes pas Pierre LOMBARD mais on retrouve ce ternaire dans une prière à la sainte Trinité proposée à la dévotion commune dès le XVe siècle.
On retrouve ainsi le chainon manquant entre la théologie médiévale chrétienne et la ferveur populaire. Dans la conception de la Franc-maçonnerie spéculative, les fondements sont dans les 3 colonnes Force, Sagesse et Beauté et ce dans un contexte où tout le monde savait qu’il était question de la Trinité.
Par la suite et par perte de références culturelles, on a oublié la trame du raisonnement et la signification de l’évocation symbolique.
La notion de colonne est dans les bornes primitives de la culture chrétienne. Dans l'épitre aux Galates chapitre II, verset 9, Jacques, Jean et Pierre sont nommés les 3 colonnes de l’Eglise de Jérusalem. Dans la culture de l’époque, les personnages importants sont appelés « colonnes » (Cf. aussi Apocalypse 3,12).
Discussion :
Les tours des cathédrales reprennent ces allégories des colonnes. La discussion s’est étendue sur l’évocation particulière de la conception architecturale de certaines cathédrales.